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27 septembre 2011 2 27 /09 /septembre /2011 16:49

La laïcité est-elle aujourd'hui, pour nous chrétiens,

un chemin vers la liberté et la vérité dans nos vies ?

          1 Introduction

Plusieurs événements nationaux et locaux m'ont  invité à réfléchir à nouveau sur le principe de laïcité de notre république française et à la confronter à mes convictions et pratiques de vie chrétienne : débats autour du port de signes religieux dans l'espace public et loi sur la burka, propositions d'une révision de la loi de 1905,  inscription discutée du mot « laïcité » sur le fronton de la mairie de Joué les Tours en mai 2010, débats autour des racines chrétiennes de l' Europe .......Les réflexions qui suivent sont personnelles et sont le fruit de réponses trouvées à mes questions ; elles ne prétendent donc nullement être exhaustives sur ces questions difficiles, complexes parce qu'elles revêtent  de nombreuses dimensions : historique, philosophique, morale, politique et sociale.

La commission Stasi a en 2004 réaffirmé les trois grands piliers de la laïcité : neutralité de l'Etat (pas de culte reconnu ou non reconnu), liberté de conscience du citoyen, pluralisme (reconnaissance par l'Etat des différents faits religieux, « pourvu que leur manifestation ne trouble pas l'ordre public prévu par la loi » (article 10 de la constitution de 1958).

Comment exprimer mes convictions chrétiennes au plan politique dans une république française laïque ? Quels points d'attention dois-je avoir pour mon « vivre ensemble » avec d'autres croyants, avec des agnostiques et des athées ? Dois je craindre une perte de spiritualité globale de notre société moderne, toujours plus matérialiste ?

 

          2 Qu'est-ce que la laïcité ?

Reprenons tout d'abord une définition de la laïcité : la laïcité est un concept qui trouve ses racines dans les écrits des philosophes grecs et romains, tels que Marc-Aurèle et Épicure , ceux des penseurs des Lumières comme Denis Diderot, Voltaire, John Locke, les pères fondateurs des États-Unis tels James Madison, Thomas Jefferson, et Thomas Paine ... La laïcité désigne, actuellement dans plusieurs pays du monde, la séparation du civil et du religieux. Le mot « laïc », apparu au XIII siècle et d'usage rare jusqu'au XVI siècle, est issu du latin laicus « commun, du peuple (laos) » terme ecclésiastique repris au grec d'église λαϊκός, laikos, « commun, du peuple (laos) », par opposition à κληρικός, klerikos (clerc), désignant les institutions proprement religieuses. Dans l'article « laïcité » de son Dictionnaire de pédagogie et d'instruction primaire, Ferdinand Buisson, un des inspirateurs des lois laïques de la troisième République, définit plus précisément la laïcité, terme alors nouveau (néologisme): il s'agit de la sécularisation  des institutions politiques d'un État, à savoir que cet Etat ne s'adosse à aucune religion officielle, ni ne suppose quelque onction divine. Le principe de séparation des pouvoirs politique et administratif de l’État du pouvoir religieux en est une application.

 

 

          3 Quelques enjeux de la laïcité aujourd'hui

 

Plusieurs évolutions récentes de notre société donnent une nouvelle actualité au principe de laïcité et à ses enjeux :

·                     un enrichissement de la diversité des croyances et non-croyances, chaque courant comportant ses sages et ses « ultras ». La Touraine, terre de mission chrétienne au temps de St Martin, est aujourd'hui lieu d'échange ou de cohabitation entre plusieurs confessions (principalement monothéistes : chrétiens, musulmans, juifs) et plusieurs courants de pensée (de la croyance à l'athéisme) dont les diverses obédiences de la franc-maçonnerie et la tradition politique radicale.

·                     l'injustice sociale croissante, qui favorise le repli identitaire et le communautarisme : le non respect des principes d'égalité et de fraternité de notre république suscitent parfois des politiques de  discrimination positive ou de multi-culturalisme ; mais alors les expressions culturelles différentes visibles dans l'espace public peuvent venir heurter le principe de laïcité.

·                      des débats parfois difficiles sur des sujets de société (exemple : le mariage des homosexuels, la théorie du « gender »,...) et des questions éthiques (exemple : la recherche médicale au moyen d' embryons surnuméraires.....). Il peut arriver que des évolutions législatives souhaitées par des citoyens viennent heurter la morale chrétienne et la doctrine sociale de l'Eglise catholique. Comment faire dès lors pour adopter des lois qui respectent les droits et devoirs de tous les citoyens, quelles que soient leurs convictions ?   

 

             3.1 Le respect du pluralisme de convictions dans l'espace public

Le « vivre ensemble » de notre société française laïque impose de respecter les convictions de chacun aux plans philosophique et religieux : athéisme, agnosticisme, croyant (d'une religion reconnue). L'attitude première est celle de l'écoute et de la compréhension : tous les hommes croyants ou non ont une vie spirituelle ; la reconnaissance de l'autre, dans ses convictions différentes des miennes, va de pair avec le respect des lois d'une république qui organise la liberté des cultes et la liberté de conscience.  Un des champs privilégiés de cette organisation est l´ enseignement : l' école publique est un champ privilégié d'ouverture aux savoirs pour les jeunes et elle ne peut recevoir le même régime de libertés que sur la place publique. « L'école laïque est un des derniers lieux à mettre en avant  ce qui unit tous les êtres humains plutôt que ce qui les divise » (Henri Pena-Ruiz, Le Monde Diplomatique en 2004). La république laïque doit également reconnaître le droit des citoyens à se grouper en associations selon leurs convictions, désirs de partage……les associations caritatives et cultuelles sont une des sources du pluralisme et de l´enrichissement du tissu social. Entre l´Etat et la sphère privée, il y a la société civile. Les lois permettent d´obtenir un consensus du "vivre ensemble" entre Etat, société civile, sphère privée ; ce consensus n´est pas figé : des compromis, des évolutions, des approfondissements sont nécessaires. 

3.2 La question de l'intégration dans une société pluraliste

Comme l'a bien montré Dominique Schnapper aux Semaines sociales de France de 2010, il existe en France un décalage entre l'intégration culturelle des migrants, relativement aisée, et l'intégration structurelle (vote, emploi....) plus difficile. Il peut y avoir un repli « pathologique » des migrants sur un référentiel traditionnel lié à leur culture d´origine. Le fondamentalisme religieux peut ainsi prendre racine là où les discriminations voire les exclusions apportent un démenti flagrant aux valeurs républicaines et à l'image d'un Etat-providence.

En prenant pour cible le fondamentaliste musulman, soupçonné être en essor sur sa commune, le maire de Joué les Tours  a voulu défendre en mai 2010 les valeurs de laïcité, ce qui est bien mais  cette démarche n'a pas permis à mon avis de réfléchir suffisamment aux causes du fondamentalisme religieux. Les réponses apportées par certains jeunes sous forme de violences urbaines (casses, incendies de voitures) montrent bien que c'est avant tout au plan social que l'intégration se fait mal. Comme l'a indiqué Dounia Bouzar toujours aux Semaines sociales de France 2010, « c'est l'expérience humaine partagée qui nous permettra de construire un avenir partagé ». A Joué les Tours, comme dans d´autres communes de Touraine, c'est bien  le défaut de mixité sociale (et non le fondamentalisme) qui écorne les valeurs d'égalité et fraternité de l'état laïque.    

3.3 La contribution des morales de conviction au débat démocratique

L' histoire de notre Eglise catholique doit nous rendre modestes et prudents quant à notre vision politique, surtout si elle prétend tirer de notre foi un modèle d'organisation politique. Il nous faut comprendre la méfiance de certains de nos concitoyens quant aux interventions de l' Eglise catholique dans la vie publique. Ils craignent toujours un retour du totalitarisme chrétien en Europe comme ils pointent dans le monde la résurgence des fondamentalismes dans les trois grands monothéismes  (exemple : les protestants américains « born again » ).

Certains donc entendent cantonner à la sphère privée la contribution des religions. D'autres estiment que cette contribution est possible si elle ne « trouble pas l'ordre public » et si elle vise un « bien commun » admis et partagé par tous les citoyens. Par exemple, Habermas, philosophe allemand athée a écrit en 2004 : « La neutralité du pouvoir d' Etat quant aux conceptions du monde, qui garantit la liberté éthique égale de tout citoyen,  est incompatible avec l'universalisation politique d'une vision du monde sécularisée. Quand les citoyens sécularisés assument leur rôle politique, ils n'ont le droit ni de dénier à des images religieuses du monde un potentiel de vérité présent en elles ni de contester à leurs concitoyens croyants le droit d'apporter, dans un langage religieux, leur contribution aux débats publics. ».

Le débat politique avec tout citoyen, quelle que soit sa croyance, est basé sur des valeurs humaines généralement admises dans les sociétés démocratiques (exemple : liberté, égalité, fraternité),    mais différemment perçues et vécues selon les classes et situations sociales. L'enjeu des différentes croyances est de rendre effectif et vivifier ces valeurs, avec pour chacune ses accents particuliers. La société laïque est plurielle, riche des différences assumées et magnifiées de ses membres…..

3.4 La  spiritualité laïque

La laïcité est faite d'un socle de valeurs communes, elle est l'expression d'une morale partagée, forcément imparfaite (exemple historique en France, le droit des femmes) car expression de consensus et de dissensus. Elle n'est pas à mettre sur le même plan que les morales de conviction.

« La morale laïque, morale horizontale et fondement éthique du lien politique, comporte l'exigence de laisser librement s'exprimer des morales d'un autre ordre, des morales convictionnelles (verticales, même quand leur contenu n'est pas « religieux ») et de respecter leurs choix fondamentaux, à partir du moment où ils ne portent pas atteinte aux droits d'autrui » (Jean Baubérot, « les défis de la morale laïque »).

Certains philosophes comme Luc Ferry ou André Comte Sponville ont exprimé dans leurs derniers livres leurs recherches d'une spiritualité laïque sans fondement religieux. Luc Ferry (« la révolution de l'amour, pour une spiritualité laïque » pressent une « révolution de l'amour » au 21ème siècle car aujourd'hui l'amour pour autrui, libéré de toute  contingence familiale ou sociale, construit un deuxième humanisme après celui des Lumières ; la fraternité, la sympathie pour le prochain sont les déclinaisons politiques de l'amour moderne. André Comte Sponville  (« l'esprit de l'athéisme ») fait un parallèle entre les trois vertus théologales de la tradition chrétienne (foi, espérance, charité) et trois fondements d'une spiritualité sans Dieu : la fidélité à des valeurs reçues et à transmettre, l'amour puisque, s'il n'y a rien après la mort, apparaît ce fond de désespoir qui n'est pas une raison pour cesser d'aimer et l'immanence ou « sentiment océanique » qui est manière d'être un avec tout, qui n'est pas la rencontre avec un « tout autre » mais l'immersion dans le « tout même ». N'y a-t-il pas là lieu de recherche, lieu de débat entre notre propre spiritualité chrétienne, elle même multiforme lorsque nous l'approfondissons personnellement, et ces spiritualités laïques ?

L'amour humain,qui va jusqu'au don total de soi pour un autre ou des autres,  qui va jusqu' à aimer nos ennemis, est-il le fruit de notre désir immanent ou  le don reçu librement d'une grâce divine ?

La recherche de la vérité de l'homme, du sens de notre vie sur terre peut être éclairée par les apports  d'autres croyances. Et nous autres chrétiens, nous avons à nous souvenir avec confiance de ce verset  du Psaume 50 : « mais tu veux au fond de moi la vérité ; dans le secret tu m'apprends la sagesse »

          4. Les points d'attention pour nous chrétiens

4.1 Ne pas prétendre détenir la vérité

Dans le dialogue avec les autres morales de conviction, il nous faut prendre garde qu' emportés par notre zèle dans la foi et la force de notre conviction, nous en venions à déclarer une supériorité de notre référentiel chrétien. Le concile Vatican II a affirmé (Nostra Aetate no 2) : « L’Église catholique ne rejette rien de ce qui est vrai et saint dans ces (les autres) religions. Elle considère avec un respect sincère ces manières d’agir et de vivre, ces règles et ces doctrines qui, quoiqu’elles diffèrent sous bien des rapports de ce qu’elle-même tient et propose, cependant reflètent souvent un rayon de la vérité qui illumine tous les hommes. » A notre niveau de chrétien ordinaire rencontrant quotidiennement des personnes de croyance différente, nous devons rester humbles, dans un esprit d'écoute et de recherche, lorsque nous échangeons sur nos convictions. Un exemple de comportement est celui de Jésus dialoguant avec la Samaritaine : c'est un échange équilibré d'expériences humaines, la parole de Jésus « si tu savais le don de Dieu.... »  résonnant comme une invite ou un témoignage et non comme une affirmation péremptoire.

Plus qu'une affirmation de foi, la vérité se révèle pour nous chrétiens dans une incarnation de Dieu en nos vies. L'esprit nous fait naître fils de Dieu de plusieurs manières, maturations et changements par ses fruits prodigués en nos vies, morts et relèvements par notre incorporation croissante au corps du Christ. S'il y a affirmation d'une vérité en nous, cela sera d'abord par notre comportement et nos actes. Notre visage peut devenir "lumière", reflétant l´image même du Christ en nous……

4.2 Affirmer  nos valeurs dans le débat démocratique  et les pratiquer dans la vie sociale et politique

Nous nous retrouvons heureusement avec nombre de personnes de toute croyance pour promouvoir les valeurs universelles de solidarité, justice, amour dans l'organisation de la société. Le souci des plus petits et des plus pauvres est également partagé par d' autres croyants, par des agnostiques et athées. Ne sommes nous pas joyeux quand nous constatons en nous et autour de nous l'Esprit agir pour aller plus loin dans la mise en œuvre de ces valeurs, dans le soin de « la veuve, de l'orphelin et de l'émigré qui sont au milieu de toi » ? Ce constat, cette révélation nous pousse à persévérer et à aller plus loin.

La mise en pratique de ce que nous affirmons est le test fondamental par lequel nous serons ou non reconnus par les autres citoyens comme interlocuteurs valables. N'avons nous pas à  discerner combien le don de Dieu dans nos vies est force et et espérance qui nous poussent à aller toujours plus loin, plus en avant, malgré les difficultés de la route ?

4.3  Révéler l' amour de Dieu pour tout homme

Le questionnement sur notre foi, dans le dialogue avec athées et agnostiques, peut être positif en ce sens qu'il met à l'épreuve notre degré de liberté dans nos convictions. La critique de nos compromissions  actuelles comme celles de l'Eglise dans la passé peut s'avérer décapante et nous amener à l'essentiel de notre foi, qui est humilité, miséricorde, soin et service des plus petits et des plus pauvres, à la suite de Jésus. Dans le dialogue philosophique avec athées et agnostiques, nous pouvons alors mettre en avant  les expériences humaines qui fondent nos convictions : « je n'existerais point du tout si Dieu n'était pas en moi. Ou plutôt je n'existerais point si je n'étais pas en Dieu » (St Augustin, Les confessions, I,2,2).

A la  suite de Jésus Christ guérissant, par lui, nous avons à révéler à tout homme qu'il est aimé de Dieu. Cela ne s'opère pas là aussi par des discours mais par notre comportement afin que cet homme « sente et découvre qu'il y a en lui quelque chose de sauvé, quelque chose de plus grand et de plus noble que ce qu'il pensait, et qu'il s'éveille ainsi à une nouvelle conscience de soi » (Eloi Leclerc, Sagesse d'un pauvre)

 

          5 Conclusion

La confrontation de nos convictions chrétiennes avec celles des autres croyants, des athées, des agnostiques dans le champ social et politique peut être fructueuse pour nous sous un double aspect :

- elle nous amène à approfondir notre rapport à la révélation par l´Evangile et par la tradition de l´Eglise ; elle nous amène à purifier notre foi de ses pesanteurs diverses. Elle peut nous contraindre "à tout reprendre à zéro" et à un lâcher-prise vivifiant quant à nos volontés et nos « a prioris » personnels : « non pas ce que je veux, Seigneur, mais ce que tu veux.... ». Discerner aussi que le Seigneur nous précède en tout lieu. Ce ressourcement intérieur est donc un chemin de libération et de liberté.

- la confrontation nous amène à rechercher avec  d´autres le sens de nos vies personnelle et collective, le projet de Dieu sur le monde, c´est donc aussi un chemin vers la vérité. En effet, la Vérité de Dieu, c'est son Amour éternel et ses projets pour l'homme et l'univers pour autant que nous puissions les entrevoir. Pour le chrétien le Christ est l'alpha et l'oméga de la création, celui dont l'homme ne peut appréhender toute la sagesse et le dessein. La Vérité pour l'homme, c'est de « trouver son bien en adhérant, pour le réaliser pleinement, au projet que Dieu a sur lui : en effet il trouve dans ce projet sa propre vérité et c'est en adhérant à cette vérité qu' il devient libre » (Caritas in veritate no 1).

Confiant en l'amour de Dieu, chacun d'entre nous, œuvrant dans une société laïque, est donc appelé   à découvrir sa vérité personnelle qui est le projet de Dieu pour chacun, dans notre entière liberté. Confiant en l'amour de Dieu, chacun d'entre nous,  œuvrant dans une société laïque, est donc appelé à participer à la construction du bien commun universel, à la construction des barreaux de l'échelle menant à la fin dernière de l'homme, qui est Dieu.

 

          Bibliographie

-        Luc Ferry « la révolution de l'amour, pour une spiritualité laïque » Plon 2010

-        André Comte-Sponville « l'esprit de l'athéisme » Albin Michel 2006

-        Henri Pena-Ruiz « Histoire de la laïcité. Genèse d’un idéal »  Gallimard 2005.

-        Jean Baubérot « laïcité 1905-2005 , entre passion et raison » Seuil 2004

-        Emile Poulat « Notre laïcité publique » Berg International 2003

-        Albert Samuel « La laïcité, une exigence pour la paix » Chronique sociale 1997

-        Nouveaux enjeux de la laïcité (actes de deux colloques) Centurion 1990

-        documents de l' Eglise magistère et St Augustin

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